Un tournant dans notre aventure

La première fois que nous avons entendu parler de la méditation Vipassana, nous nous trouvions à Yangon en Birmanie ; la journée venait de commencer et nous étions dans notre guesthouse, en train de prendre le petit déjeuner. Deux voyageurs français revenaient d’un stage de méditation et affichaient une sérénité communicative. Le lendemain, nous nous trouvions à l’entrée du centre, prêts à passer les dix prochains jours à méditer.

Avant d’entreprendre ce voyage, nous n’aurions jamais pensé participer un jour à un stage de méditation, encore moins celui que nous nous apprêtions à vivre.

Vipassana est un mot pali qui signifie « observer les choses telles qu’elles sont réellement ».

Apparue en Inde il y a 2 500 ans, la méditation Vipassana fait partie des plus anciennes techniques de méditation connues. Originellement, elle était enseignée comme un remède aux maux universels ; on la considérait alors plus comme un art de vivre qu’une simple méthode de relaxation, comme peuvent l’être d’autres méthodes de méditation actuelles.

Cette technique ni sectaire, ni apparentée à la religion, a pour objectif ultime et ambitieux de supprimer totalement les souffrances et d’atteindre, comme le Bouddha lui-même, le bonheur suprême, « l’illumination ».

C’est davantage notre curiosité et notre volonté de vivre une nouvelle expérience qui nous ont incité à faire ce stage, plus que la recherche de ce bonheur suprême qui exige de s’impliquer bien au delà de dix jours.

Toutefois, quand nous nous inscrivons, nous sommes bien loin d’imaginer que ce stage allait exiger de notre part une rigueur de vie et une discipline que nous ne nous étions jamais imposées jusqu’à présent.

Pour illustrer cet investissement personnel, voici la liste des préceptes du code de discipline que tout étudiant s’engage à respecter lors des dix jours :

  1. S’abstenir de tuer tout être vivant ;
  2. S’abstenir de voler ;
  3. S’abstenir de toute activité sexuelle ;
  4. S’abstenir de mentir ;
  5. S’abstenir de consommer tout produit intoxicant (alcool, tabac, drogue…) ;
  6. S’abstenir de manger après midi ;
  7. S’abstenir de divertissements sensuels et d’ornements corporels ;
  8. S’abstenir d’utiliser des lits hauts et luxueux.

A ces préceptes, s’ajoutent les règles de vie, communes à tous, qui s’avèrent être dans ce contexte les plus difficiles à respecter :

  • Observation du « Noble Silence » du corps, de la parole et de l’esprit, pendant dix jours ; cela signifie de façon plus claire qu’aucun contact physique, visuel ou oral n’est autorisé.
  • Séparation entre les hommes et les femmes.
  • Suspension des exercices physiques, d’étirement ou de yoga.
  • Sustentions par deux repas végétariens, servis à 6h et à 11h, face à un mur pour éviter tout contact visuel.
  • Bains à l’eau froide.
  • Interdiction d’entretenir des liens avec le monde extérieur (tout matériel électronique est conservé dans un casier inaccessible).
  • Interdiction de toute distraction (lecture, musique, écriture).

Chaque étudiant prend connaissance de ce code avant de s’engager. Libre à chacun d’accepter de s’y résoudre ou de partir. Le stage étant totalement gratuit, seule la véritable volonté de l’étudiant explique la qualité de son investissement personnel jour après jour.

Enfin, nous prenons connaissance de notre emploi du temps pour les dix jours à venir. Le « gong » retentissant au début et à la fin de chaque séance, cadence notre quotidien.

  • 4h00 Réveil matinal
  • 4h30 à 6h30 Méditation
  • 6h30 à 8h00 Petit déjeuner
  • 8h00 à 11h00 Méditation
  • 11h00 à 12h00 Déjeuner
  • 12h00 à 13h00 Repos et entretien avec l’enseignant
  • 13h00 à 17h00 Méditation
  • 17h00 à 18h00 Pause thé
  • 18h00 à 19h00 Méditation
  • 19h00 à 20h15 Discours de l’enseignant
  • 20h15 à 21h00 Méditation
  • 21h30 Retour dans sa chambre
  • 22h00 Extinction des lumières

Nous nous lançons dans cette aventure, bien conscients de toutes ces règles, curieux de voir jusqu’où notre propre volonté et libre arbitre peuvent nous mener.

Vient alors le temps de se séparer, chacun dans une partie du centre, pour se revoir dix jours plus tard.

Nous avons évidemment tout deux vécu l’expérience de manière différente.

Le stage vécu par Clémentine

« Après quelques mois de voyage, l’arrivée en Asie marque pour moi une vraie rupture et un saut dans l’inconnu, excitant et effrayant à la fois.

La perspective de commencer cette deuxième partie de voyage par ce stage me motive réellement. Il représente une opportunité inédite de finalement me laisser porter par un cadre, certes restrictif, mais rassurant. Tout est fait pour que l’on n’est rien d’autre à penser que de se concentrer sur soi, ses sensations, ses états d’âmes, ses émotions pendant dix jours. Plus besoin de réfléchir où nous allons dormir, quel train ou bus nous allons prendre, pour aller où, quand, pendant combien de temps, et pour quel budget…

Finalement, cela se révèle être un véritable luxe dans ce monde où nous passons notre temps à courir, insatisfaits, après un bonheur que nous n’apprécions pas quand il est là et regrettons quand il disparaît.

Je m’interroge pendant dix jours, et plus de 110 heures de méditation, sur ce qui rend vraiment heureux, et me rend compte naturellement qu’il faut le chercher en nous et pas dans ce que la société peut nous offrir.

J’apprends à observer les douleurs infligées par cette position assise gardée pendant plus de onze heures par jour, par ces nuits passées sur un matelas de deux centimètres d’épaisseur posé lui-même sur une planche, par ces douches froides, par la faim.

J’apprends à ne pas y réagir et me rends compte qu’au fil des jours, ces douleurs s’estompent puis disparaissent et que c’est le fait d’y porter attention qui les amplifie.

Je ressors de ces dix jours avec une sensation de légèreté et de liberté incroyable, le sentiment que rien n’est impossible, que le bonheur, et d’ailleurs le malheur, ne se trouvent pas dans ce que nous vivons mais dans la façon dont nous interprétons les évènements et dans l’importance qu’on leur donne. Je suis motivée à continuer à méditer, mais suis toutefois consciente qu’il me sera difficile de me tenir aux deux heures quotidiennes, exigées par la technique après un tel stage. Je suis fière d’avoir eu la volonté de rester alors que j’étais libre de partir. Cette expérience a changé ma vision de notre voyage, de notre vie. »

Le stage vécu par Fabien

« Nous arrivons en Birmanie après cinq mois de voyage ; cinq mois qui sont passés extrêmement vite, que l’on a juste eu le temps de figer sur les cartes mémoires de nos appareils photos. J’ai l’impression que nous ne nous sommes quasiment pas arrêtés ; nous avons traversé six pays, nous avons fait des centaines de rencontres (plutôt heureuses), notre soif de découvertes a été insatiable. Pour ajouter à cela, je suis parti avec pas mal d’interrogations dans mon sac et la conviction que le voyage allait m’apporter des réponses. Dans l’avion qui décolle de Sydney, je ressens une certaine fatigue, mêlée à la peur de l’inconnu, à l’approche de ce nouveau continent. J’ai envie de ralentir le rythme, d’appuyer sur pause et de changer notre manière de voyager. Ce stage de dix jours de méditation représente alors pour moi une véritable opportunité de commencer un autre voyage.

Les trois premiers jours ne sont vraiment pas faciles ; j’avais sans cesse la tête remplie de pensées : dans le passé ou dans le futur, jamais dans le moment présent. Évidemment, les règles de vie sont strictes (surtout le réveil à 4h du mat), mais ce n’est clairement pas le plus difficile pour moi. Je ne me concentre que très rarement sur les instructions données par notre enseignant, mon esprit sautant sans cesse d’une idée à une autre.

Puis, à la fin du troisième jour, je ressens une sorte d’accalmie. J’ai l’impression d’avoir fait le tour de tous les sujets qui m’encombraient l’esprit jusqu’à présent ; je peux enfin me concentrer pleinement sur la technique de méditation.

Les enseignements sont très pragmatiques et sont accompagnés en fin de journée, de discours permettant de mieux comprendre la finalité des (très) nombreuses séances de méditation. Je suis les instructions heure après heure, séance après séance. Le chemin jusqu’au dixième jour me paraît long, mais je m’accroche. Le doute s’installe parfois au détour d’une séance : serais-je capable de suivre la prochaine instruction et de passer à l’étape suivante ? Vais-je continuer à appliquer cette technique une fois le stage terminé ? A quoi cela sert-il et en quoi tout cela peut-il m’aider ? J’attendais des réponses et je me retrouve avec des nouvelles questions…

Et puis, le dixième jour arrive. J’ai suivi et appliqué les enseignements jusqu’à la dernière séance ; je comprends maintenant mieux la finalité, après avoir vécu le processus dans sa globalité. Un mot, surtout, reste après cette centaine d’heures de méditation : « Anicca ». L’impermanence. Tout change continuellement. Pour le comprendre vraiment, il faut le ressentir dans son corps. Voilà le but des enseignements pratiques. Toute sensation, qu’elle soit bonne ou mauvaise n’est que passagère. Elle finira par passer. Agir et ne plus réagir. Voilà pour moi la leçon retenue de la méditation Vipassana. »

Si vous êtes curieux, intéressé, dubitatif, ou interrogatif, ci-dessous le site officiel de la technique Vipassana.

http://www.dhamma.org/fr

4 Responses to “ Un tournant dans notre aventure ”

  1. Une pause asiatique dans votre vie d’occidentaux.
    Félicitations pour avoir osé une telle expérience !
    Vous étiez prêts à explorer tous les chemins, même celui du sens de la vie de l’homme !

    Bon retour et surtout bonne continuation parmi nous ; j’imagine qu’il ne doit pas être facile de continuer le chemin dans un environnement que vous pensez connaître. Mais, le voyage continue, l’inconnu fait partie du quotidien… l’impermanence de toute chose chère à la pensée bouddhique !
    Merci encore d’avoir partagé votre voyage avec nous, et pour ma part grâce à votre blog, j’ai découvert et apprécié l’Amérique du Sud, malgré tous les aprioris négatifs qui remplissaient mes jugements !
    Amicalement,
    Annie

  2. Coucou Clem et Fabien,

    Je me suis délectée en m’imaginant votre expérience « un tournant dans notre aventure » ; pas facile de se remettre en question … bravo ! j’aurai aimé vivre cette curiosité à votre âge, les années passant d’instinct on devient philosophe si on le veut ?
    Je vous embrasse et à bientôt, le tour du monde se termine me semble-t-il ….

  3. Merci de nous faire partager l’ensemble de vos expériences merveilleuses. Hâte de vous retrouver!!! Gros bisous alex & pie

  4. Quel plaisir de vous retrouver en cette chaude journée du 14 juillet pour nous, tout en démonstration, en fanfare, et en « fanfaron » heureux et fiers, comme des coqs bien français ; rien n’est trop beau, rien n’est trop fort, et demain à nouveau nous nous réveillerons tristounets, insatisfaits si seulement l’on pouvait s’ arrêter un peu, juste pour remettre un peu d’ordre dans ce qui est essentiel à notre vie je pense que beaucoup de nos craintes disparaîtraient ; c’est une chance pour vous que vous ayez sur votre chemin pu bénéficier de cette halte, toute raison gardée. Je sais que depuis avez encore fait beaucoup de route et de découvertes, A très bientôt

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